C’est une découverte aussi spectaculaire qu’inattendue : sous trois kilomètres de glace, une vaste plaine fossile dormait depuis des millions d’années dans l’Antarctique de l’Est. Grâce à un radar embarqué sur un avion, une équipe de scientifiques britanniques a mis au jour un paysage fluvial ancien, s’étirant sur 3 500 km de long, entre la Terre George V et la Terre de la Princesse-Élisabeth.
Une « capsule temporelle » géologique
Remontons 80 millions d’années en arrière : l’Australie et l’Antarctique ne formaient qu’un seul bloc. Des rivières sillonnaient alors ces terres, sculptant vallées et plateaux. Puis, il y a environ 34 millions d’années, un refroidissement brutal a figé cette région sous une immense calotte glaciaire. Résultat : ce relief façonné par l’eau a été parfaitement conservé, comme mis au congélateur.
Aucun vent, aucune pluie, aucun courant ne sont venus l’éroder. Aujourd’hui, ce paysage oublié refait surface grâce aux radars des chercheurs. Une véritable capsule géologique grandeur nature.
Pourquoi ces anciennes rivières freinent la glace
Mais quel est l’intérêt de découvrir un réseau fluvial sous la banquise ? Selon les chercheurs, cette plaine fossile joue un rôle inattendu : elle ralentit la glace. En effet, les glaciers qui s’écoulent vers la mer ne glissent pas partout à la même vitesse. Dans les zones de reliefs plats, comme ce réseau de vallées comblées, la pente plus douce agit comme un frein naturel.
En pratique, ces anciennes rivières agissent comme un tapis anti-dérapant sous la calotte glaciaire. Elles stabilisent le flux de glace et limitent, sans faire de bruit, la fonte accélérée de l’Antarctique.
Un bouclier discret contre la montée des mers
Cette « main invisible » pourrait être précieuse. Si toute la glace de l’Antarctique de l’Est venait à fondre, le niveau des mers grimperait de 52 mètres, engloutissant littéralement des dizaines de capitales côtières. Nous en sommes encore loin, mais pour anticiper la fonte, il faut des modèles climatiques précis. Et pour affiner ces modèles, il faut savoir ce qui se cache sous la glace.
Jusqu’ici, personne n’imaginait que le sous-sol pouvait être aussi lisse et vaste par endroits. Cette découverte va donc obliger les climatologues à revoir leurs simulations, pour mieux estimer l’évolution des glaciers à long terme.
Des radars embarqués comme des stéthoscopes polaires
Pour détecter ce trésor géologique, les chercheurs du British Antarctic Survey ont utilisé un radar aérien monté sur un petit avion Twin Otter. Ces ondes traversent les trois kilomètres de glace, rebondissent sur la roche, et dessinent une cartographie du sous-sol aussi nette qu’un scanner médical.
Résultat : un paysage de vallées, de plateaux et de plaines sculptées par d’anciennes rivières, figées dans le temps.
Forer pour mieux comprendre l’avenir
Prochaine étape ? Percer cette épaisse couverture de glace pour prélever des carottes géologiques. Ces échantillons permettront de dater précisément quand la glace a recouvert ces zones et comment l’Antarctique a réagi aux précédents épisodes de réchauffement climatique. Un forage complexe, coûteux, mais crucial pour mieux prévoir l’avenir de nos côtes.
Une enquête scientifique à l’échelle planétaire
Cette découverte est le fruit d’une collaboration internationale : l’université de Durham a piloté les recherches, avec des institutions britanniques, allemandes, chinoises, et des financements européens. L’étude, publiée dans Nature Geoscience, rappelle une chose : parfois, les réponses sur notre avenir ne se trouvent pas seulement dans les satellites ou les modèles numériques, mais bien dans les archives fossiles cachées sous nos pieds, ou plutôt, sous plusieurs kilomètres de glace.