Toujours interrompre, est-ce forcément un signe d’impolitesse ou est-ce le reflet d’un fonctionnement plus profond ? Les psychologues apportent un éclairage nouveau sur cette habitude qui, loin d’être anodine, révèle des mécanismes cognitifs et émotionnels inattendus.
Couper la parole : un réflexe plus fréquent qu’on ne le croit
Qui n’a jamais coupé la parole sans s’en rendre compte ? Que ce soit au travail, lors d’un dîner entre amis ou dans un échange intime, tout le monde a déjà eu ce réflexe. Et pourtant, ce comportement est souvent mal perçu : impoli, égoïste, dominateur. Mais la réalité est plus complexe.
Selon une étude publiée dans la revue espagnole Psicología Social, l’interruption découle d’un mélange subtil de facteurs neurologiques, émotionnels et sociaux. Autrement dit, ce n’est pas forcément un manque de savoir-vivre, mais un fonctionnement naturel du cerveau.
Un cerveau qui anticipe sans cesse
Notre cerveau est une machine à anticiper. Pendant qu’une personne parle, nous ne faisons pas qu’écouter : nous cherchons en parallèle à rebondir, à connecter ce qui est dit à nos propres souvenirs, à préparer notre réponse.
« La nécessité de ne pas perdre le fil et de contribuer activement à l’échange pousse parfois à intervenir trop tôt », expliquent les chercheurs.
Ce phénomène est lié à la mémoire de travail, un bloc-notes mental temporaire qui stocke les informations à court terme. Chez certaines personnes, cette mémoire est fragile : si elles n’expriment pas leur pensée immédiatement, elles risquent de l’oublier. Résultat : elles parlent avant que l’autre ait terminé.
L’anxiété, un facteur qui aggrave le réflexe
L’environnement émotionnel joue aussi un rôle clé. Dans un contexte stressant ou lors d’échanges intenses – comme une réunion importante ou un débat animé – l’urgence de s’exprimer peut devenir irrésistible. Les personnes plus anxieuses ou soumises à une forte pression sociale sont particulièrement concernées.
Cela ne signifie pas pour autant que toutes les interruptions sont dues à l’anxiété. Parfois, elles traduisent simplement un besoin de créer du lien : montrer qu’on comprend, partager une expérience similaire ou exprimer une émotion. Un mécanisme qui, paradoxalement, peut nuire à la qualité de l’échange.
Un processus multitâche… mais risqué
Écouter et formuler une réponse ne sont pas deux actions distinctes : elles se déroulent simultanément dans le cerveau. Le lobe temporal traite le langage, tandis qu’autres zones évaluent si ce qu’on a à dire est pertinent. Chez certaines personnes, ce multitâche fonctionne comme un moteur en surrégime : la prise de parole devient automatique.
Contrairement aux idées reçues, ce ne sont pas uniquement les extravertis qui interrompent. Même les introvertis peuvent le faire, surtout lorsqu’un sujet les touche de près. Le facteur émotionnel est déterminant.
Quand l’interruption blesse la relation
Si la science dédramatise ce comportement, ses conséquences restent bien réelles. Dans la vie personnelle, se sentir interrompu en permanence crée frustration et distance émotionnelle. Le Berkeley Institute for Wellbeing alerte :
« Ne pas être écouté fait naître un sentiment d’isolement et de dévalorisation ».
À long terme, cela peut détériorer la confiance et inciter les proches à se replier sur eux-mêmes.
Dans le monde professionnel, interrompre un collègue ou un supérieur en réunion peut être perçu comme un manque de respect, voire une prise de pouvoir. Cela nuit à l’image, limite la collaboration et réduit la qualité des décisions prises collectivement.
Comment limiter ce réflexe ?
La clé réside dans la prise de conscience. Il est possible de rééduquer son écoute et d’adopter quelques réflexes simples :
Pratiquer l’écoute active en reformulant ce que l’autre vient de dire.
Laisser un court silence avant de répondre.
Valider la parole de l’autre avant de rebondir.
Identifier les situations qui déclenchent ce réflexe pour mieux les anticiper.
En bref
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Interrompre n’est pas toujours volontaire.
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Notre cerveau multitâche y contribue naturellement.
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Le stress et l’anxiété accentuent le phénomène.
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Les conséquences sociales peuvent être lourdes.
Travailler son écoute et respecter les temps de parole sont autant de petits ajustements qui transforment une conversation… et préservent la qualité des relations, qu’elles soient amicales, familiales ou professionnelles.